récits tirés d'un mémoire de Liliane Gaio
AU REVOIR, MR L’INSTITUTEUR A chacune de mes visites il disait : - Ha ! voilà la terrible qui arrive ! Lors de ma dernière visite, il était en fin de vie. Il n’a pas ouvert les yeux, je suis restée à ses côtés durant trente minutes. Il semblait dormir mais je sentais que je devais rester et tout à coup il a pris ma main et a murmuré à mon oreille : - C’est pas de mourir que j’ai peur, c’est ce que je deviens. Il est parti le lendemain. Quelle émotion pour moi cet entretien là.
Un pensionnaire avait tout le temps les pantalons qui lui tombaient sur les genoux, mais il était impossible, pour les soignantes de lui faire porter des bretelles. Il refusait catégoriquement.
Elle est rentrée au foyer avec son père et sa mère en 1956 comme employée. A cette époque et durant de nombreuses années le foyer fonctionnait comme un orphelinat dirigé par des sœurs de l’ordre d’Ingelbold. 49 ans plus tard, Alice est encore parmi nous, elle a 86 ans. - On est venu vous dire bonjour. - Alors bonjour, je suis très triste. - Vous avez un problème ? - Oui une mauvaise nouvelle. - Une mauvaise nouvelle ? - Oui. - Vous avez envie de m’en parler ? - Mon frère est décédé au foyer des marronniers à Genève il y a de cela deux mois et je viens d’apprendre la nouvelle aujourd’hui. - Vous avez beaucoup de peine ? - Beaucoup et en plus il est décédé le jour de mon anniversaire. - Vous ne l’aviez pas revu ? - Une fois il y a bien longtemps, j’ai une photo, vous voulez la voir ? - Avec grand plaisir. - Elle est petite, c’est la seule que j’ai, j’aimerais bien un petit cadre. - Je vais vous arranger ça Alice. - J’aimerais bien prier pour lui. Vous acceptez que je vous accompagne, on va prier le chapelet à notre bien aimée chapelle qui est à la porte de votre chambre. - Je veux bien. - Il nous écoute, il est avec nous.
Voilà plusieurs fois que Louisa sonne, nos nous trouvons devant sa porte par hasard en même temps qu’une aide soignante, un petit signe et elle a compris, elle nous laisse la place. Ohla, avec sa petite voix lui demande : - On peut venir vous dire bonjour ? - Bien sûr, j’ai froid au bras. - On est venu vous dire bonjour, vous avez mal ? - Très mal, j’ai froid au bras. - Vous n’avez pas trop de coussins ? - Peut-être bien. - Vous n’êtes pas trop pliée en deux ? Vous compressez votre plexus solaire. - Vous êtes de la partie ? - Bien sûr que oui. Etes vous d’accord pour qu’on libère tout ça ? Nous pourrions faire quelques respirations ensemble. - De ma vie, jamais je n’ai ni pris le temps de respirer convenablement. - On ne peut rien pour vous si vous ne nous aidez pas. Pourquoi ne pas mettre ce bras en mouvement, c’est probablement votre immobilité qui provoque vos douleurs dans l’épaule. Essayez de vous aider, de vous mobiliser pour améliorer votre confort. Elle a un coffre en bois avec tous ses souvenirs, son regard est pose sur lui. Ohla lui demande : - Il est beau ce coffret, je peux regarder ? Louisa lui répond : - Bien volontiers. Il contient beaucoup de souvenirs, et les cartes postales, elle les évoque à voix basse, nous écoutons avidement ses souvenirs. Il contient aussi les cartes de deuil de ma famille, à l’époque on savait confectionner des cartes enrichies de beaux textes, pour immortaliser les instants ou l’on perd les personnes que l’on aime. Un petit sanglot se fait sentir, un moment de silence si précieux, en empathie je l’espère, avec notre interlocutrice. Peut-être le fardeau est-il moins lourd à porter quand il est partagé. Louisa dit : - Vous êtes des anges, cette rencontre m’a fait beaucoup de bien. Ohla lui répond : - Le moment est venu de nous quitter, mais à très bientôt, merci de votre accueil et de votre confiance. Titi le clown de la maison assiste admirative à la rencontre, il n’y a rien à rajouter, c’est magique. Les résidents se reposent au bord du lac devant un panorama idyllique. Chaude après midi de juillet, et soudain trois clowns surgissent de nulle part. Cacahuette Titi et Ohla disent : - On est venu vous dire bonjour… Les résidents sortent peu à peu de leur torpeur et jettent un regard curieux sur ce trio insolite. Ohla, le clown de la maison hèle un résident, Monsieur « Zanoni » en mouvement devant nous, gymnastique et footing en pleine chaleur, elle l’accompagne dans ses déplacements sans que cela ne le perturbe. Un petit canot pneumatique apparaît à nos yeux, un petit chérubin aux cheveux blonds tout bouclés manœuvre des pagaies. Ohla lui crie : Je peux venir faire une promenade ? Merci lui dit- elle, il y avait des années que j’en rêvais. A Les Clowns osent tout Puis son visage a commencé à se détendre et à s’ouvrir vers une expression de béatitude. Elle nous regardait comme si nous étions des anges.
A l’heure de notre dernière rencontre, nous avons reçu un merveilleux cadeau. Je toque à la porte et au moment de rentrer, me voilà seule à m’installer près de Marie qui est dans son lit. Les yeux grands ouverts, elle regarde dans le vide. Je m’installe tout doucement à ses côtés. Je suis là, ici et maintenant. - Titi, vois-tu ça, elle dort les yeux ouverts. - Mais non Cacahouète, elle ne dort pas. Merci Mon Dieu et merci Marie pour ces émotions et cet au revoir inoubliable.
BONJOUR MADAME Lors d’une sortie Clown, une résidente de cet établissement nous accueille par ces mots : « Ah c’est donc vous les clowns ? » - Bonjour Madame, on est venu vous dire bonjour. Comment allez vous aujourd’hui ? Gros soupir, visage crispé, contrarié ! - Vous rendez-vous compte on a pas eu à manger à notre faim, que 3 filets de perches dans notre assiette. Ohla lui demande : - 3 filets de perches vous êtes sûr ? Elle répond : - Bien sûr que oui ! Cacahuète et Titi se mettent d’accord pour faire quelque chose. Cacahuète décide de téléphoner à la cuisine, il décroche le combiné et fait un numéro imaginaire, il entame la conversation : - Bonjour Madame la Cuisinière, on a une réclamation à vous faire. Comment ça, vous n’avez pas le temps ? C’est comme les filets de poisson vous n’en n’avez plus ou vous les avez mangés vous-même, trois filets par personne, comment ça va pas, non ça va pas, 1 perche ça a 2 côtés donc deux perches quatre filets, il est où le quatrième ? Comment ça c’est pas du sérieux ! Je veux parler au Directeur. - Comment ça à heures fixes ? - Et oui avant 9 heures c’est trot tôt et après 9 heures c’est trop tard. Un deuxième téléphone s’impose ! - Bonjour Madame l’aide-soignante, nous avons une question urgente, non pas un besoin urgent. Est-ce-que vous arrivez à uriner et à aller à selle à heures fixes…….. Arrêtez de bredouiller, nous aimerions une réponse entre deux poses pipi ou à la pause café. Nous vous attendons au pays des Clowns le lundi 17 mai. Merci de venir…. Vous ne pouvez pas ? Elle non plus ne peut pas faire ces besoins quand vous avez le temps. Nous lui parlons de notre chère Gruyère. Elle dit justement qu’elle adore le fromage de gruyère. On lui a promis de lui en ramener lors de notre prochaine visite.
Parmi mes rencontres, le cas de Madame souffrant d’une maladie rare est tout à fait exemplaire. Elle était arrivée dans l’institution 6 mois auparavant. Quand je me suis trouvée en Clown à l’entrée de sa chambre, il m’est d’abord aparu que ce ne serait pas possible d’établir ce contact. J’ai suspendu cette interprétation dès que j’en ai pris conscience. A ma grande surprise, celle qui deux heures auparavant était incapable de se manifester, accepta immédiatement un contact du regard avec moi. | |||||||
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